Publié le 03/12/25 à 08h30
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Un rapport parlementaire préconise un durcissement sans précédent de la lutte contre le piratage audiovisuel. Automatisation des blocages, sanctions pénales renforcées et traque des contournements : la France s'apprête à franchir un cap répressif majeur face aux 11 % d'internautes qui consomment illégalement.
11 % des internautes français utilisent l'IPTV pirate. L'Arcom prépare un arsenal répressif radical : blocage en 30 minutes et sanctions pénales renforcées. © Les Numériques
Alors que 2024 signait l'année de la répression pour les plateformes d'IPTV illégales, l'Assemblée nationale vient de recevoir un rapport qui marque un tournant dans la guerre contre le piratage. Commandé par la commission des affaires culturelles à l'Arcom en juin 2025, ce document de 62 pages, constultable en source, dresse un constat implacable : malgré des résultats encourageants, les dispositifs actuels ne suffisent plus.
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Les pratiques illicites se métamorphosent plus vite que les réponses institutionnelles ne s'adaptent. Face à ce constat, l'autorité de régulation préconise une refonte radicale de son arsenal, inspirée des modèles les plus durs d'Europe.
Un bilan en demi-teinte malgré des succès indéniables
Les chiffres témoignent d'avancées réelles mais insuffisantes. Depuis 2009, la procédure de réponse graduée héritée des lois Hadopi a fait chuter le recours au pair-à-pair de 80 %, passant de 8,3 millions d'internautes à 1,3 million en 2025.
Avec une baisse de 80 % du recours au pair à pair depuis 2009 et 75 % des abonnés avertis qui ne réitèrent pas leurs pratiques illicites, son impact sur les comportements est indéniable.
La réforme de 2021, qui a doté l'Arcom de nouvelles prérogatives contre les sites miroirs et les retransmissions sportives pirates, a permis de faire reculer l'audience globale des services illicites de 35 % entre 2021 et 2025. Plus de 13 000 noms de domaine ont été bloqués depuis 2022, dont 896 rien que sur les trois premiers trimestres de 2025. Les actions combinées du régulateur et de la justice ont ramené la consommation illicite à son niveau le plus bas jamais mesuré.
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Évolution de l'audience illicite 2018-2025 : si le total baisse de 49 % (de 15 à 7,6 millions d'internautes), l'IPTV illégale émerge comme nouvelle menace avec 900 000 utilisateurs en 2025, contre zéro en 2018. Le pair-à-pair s'effondre (-66 %), le streaming recule (-54 %), mais l'IPTV progresse. © ARCOM
Pourtant, 1 internaute français sur 4 continue de consommer illégalement des contenus culturels et sportifs. Le streaming et le téléchargement direct concernent désormais 80 % des pirates, contre 23 % en 2009. Surtout, l'IPTV illicite connaît une explosion fulgurante : 11 % des internautes français y ont recours, et les deux tiers de ses utilisateurs ont franchi le pas il y a moins de trois ans.
L'IPTV pirate, nouvelle bête noire des ayants droit
290 millions d'euros perdus pour le sport, 1,2 milliard pour l'audiovisuel : l'IPTV illégale saigne les créateurs français. © Unsplash
Ces services d'IPTV illégale proposent pour quelques dizaines d'euros par an un accès à des milliers de chaînes et dizaines de milliers de contenus à la demande, rediffusés sans autorisation. Le rapport souligne que cette forme de piratage touche particulièrement un public masculin, issu des catégories socioprofessionnelles supérieures et légèrement plus jeune que la moyenne.
L'infrastructure de ces services repose sur un écosystème complexe faisant intervenir serveurs de streaming, réseaux dédiés, fournisseurs d'abonnement et producteurs de boîtiers électroniques. Cette architecture rend les blocages traditionnels largement inefficaces. Les blocages de services IPTV ont explosé : ils représentaient 6 % des demandes de l'Arcom en 2023, 28 % en 2024 et atteignent 40 % sur les trois premiers trimestres 2025.
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La consommation illicite des contenus culturels et sportifs représente une masse financière non négligeable. Elle constitue un manque à gagner conséquent pour les ayants droit, évalué à 1,5 milliard d'euros, soit 12 % du marché audiovisuel légal.
Le rapport détaille les pertes : 1,2 milliard d'euros pour l'audiovisuel et 290 millions pour le sport. Les clubs professionnels, dont les droits télévisuels constituent en moyenne plus d'un tiers des revenus, encaissent un préjudice de 130 millions d'euros. L'État n'est pas épargné : 230 millions de TVA et 190 millions de cotisations sociales s'évaporent chaque année dans les méandres du numérique.
La grande échappée technologique des pirates
Les contrefacteurs ont appris à déjouer les barrages institutionnels. Les VPN et les DNS alternatifs, technologies neutres par essence mais détournées de leur usage premier, permettent de simuler une connexion depuis l'étranger et d'accéder aux sites bloqués en France. Leur adoption explose : 66 % des consommateurs de contenus illicites y ont recours, proportion atteignant 74 % chez les 25-34 ans.
Le rapport révèle un effet pervers : pour 21 % des utilisateurs de VPN pratiquant le piratage, la réception d'un avertissement de l'Arcom ou le blocage d'un site a justement motivé l'adoption de l'outil. Cette course-poursuite technique épuise les dispositifs actuels. La réponse graduée, quoique efficace sur le pair-à-pair, coûte cher à l'Arcom et son périmètre limité la rend inadaptée aux nouvelles formes de piratage. Les sites miroirs prolifèrent instantanément après chaque blocage.
Un virage répressif inspiré des modèles européens les plus durs
Amazon a récemment bloqué les applications pirates sur Fire TV Stick. © Shuttershock
Face à cette impasse, l'Arcom préconise trois axes de réforme radicaux. Premier chantier : automatiser partiellement les blocages, particulièrement pour les retransmissions sportives en direct. Le rapport précise que cette évolution, inspirée notamment des modèles britannique et italien, permettra de traiter des volumes considérablement accrus de demandes dans des délais compatibles avec la durée des retransmissions.
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Évolution des mesures de blocage anti-piratage entre septembre 2024 et septembre 2025 : services bloqués via les FAI, déréférencements, blocages DNS publics et VPN. © ARCOM
Le système italien Piracy Shield, déployé depuis 2023, permet le blocage des services illicites sous 30 minutes, notamment par adresse IP et via d'autres intermédiaires que les seuls fournisseurs d'accès internet, tels que les résolveurs DNS, les VPN ou les moteurs de recherche. La France s'apprête à importer ce modèle via une proposition de loi sénatoriale relative à l'organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel.
L'Arcom passerait d'une vérification systématique de chaque service illicite signalé à un contrôle des systèmes de détection mis en place par les titulaires de droits et à une surveillance de la qualité des saisines. Le rapport préconise également l'attribution à l'Arcom d'un pouvoir coercitif en cas de non-application des demandes de blocage par les intermédiaires techniques.
Les VPN et les influenceurs dans le collimateur
Deuxième volet de la réforme : mobiliser davantage les intermédiaires techniques. Si les fournisseurs d'accès participent activement depuis l'accord de 2023 avec les détenteurs de droits sportifs, d'autres acteurs doivent s'impliquer. Les fournisseurs de VPN et de DNS alternatifs, dont l'usage détourné à des fins illicites concerne 66 % des consommateurs illicites, constituent des partenaires prioritaires.
Le rapport pointe du doigt les partenariats commerciaux conclus entre certains fournisseurs de VPN et des influenceurs français, qui construisent leur message promotionnel sur la possibilité offerte de contourner les mesures de blocage nationales. Une modification de la loi visant à encadrer l'influence commerciale est suggérée pour interdire ce type de communication.
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Les fournisseurs de VPN qui promeuvent le contournement des blocages dans le viseur : interdiction de ces communications commerciales. © Shuttershock
Au-delà des VPN, l'ensemble de l'écosystème numérique doit être associé : hébergeurs, réseaux de diffusion de contenus, magasins d'applications, places de marché, exploitants de moteurs de recherche en tant que régies publicitaires, prestataires de services de paiement en ligne. Cette stratégie, fondée sur la coopération volontaire plutôt que sur la contrainte systématique, vise à alléger la charge des tribunaux et à réduire les délais d'intervention.
L'arsenal pénal se renforce
Troisième pilier de la réforme : renforcer les sanctions pénales. Actuellement, l'auteur de mises à disposition contrefaisantes encourt une peine maximale de 3 ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende, voire 1 500 000 € pour une personne morale. Le rapport préconise la création d'infractions pénales spécifiques aux atteintes aux droits sportifs, prévue par la proposition de loi sénatoriale.
La création d'infractions pénales spécifiques aux atteintes aux droits sportifs, prévue par la proposition de loi relative à l'organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel, constituerait une avancée importante.
Cette évolution permettrait aux titulaires de droits d'exploitation audiovisuelle de bénéficier de moyens d'action au plan pénal au-delà des seuls droits de retransmission audiovisuelle, et faciliterait l'obtention d'éléments de preuve pour identifier les auteurs des atteintes. Le nouveau délit d'administration illicite de plateforme, introduit à l'article 323-3-2 du code pénal, complète cet arsenal en ciblant les services qui facilitent sciemment les activités illégales tout en cherchant à se soustraire à leurs obligations légales.
La recherche d'une plus grande efficacité dans la lutte contre le piratage en ligne ne peut se faire à l'aune de réformes seulement paramétriques. Il convient en effet de privilégier une intervention publique à la fois plus réactive et flexible.
Ces propositions témoignent d'un changement de paradigme ; plutôt que d'empiler les dispositifs correctifs, le rapport plaide pour une intervention publique reposant sur la coopération volontaire des acteurs privés. Cette nouvelle doctrine devra toutefois s'inscrire en pleine conformité avec les normes constitutionnelles et européennes, notamment concernant la liberté de communication en ligne. Le Conseil d'État se prononcera prochainement sur la conformité de la procédure de réponse graduée aux exigences de la Cour de justice de l'Union européenne, ce qui pourrait nécessiter des adaptations substantielles du dispositif actuel.
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