Ailleurs / Après, la délicatesse des sentiments

il y a 17 hour 1

Lou Chauvain, une révélation, va recevoir prochainement le prix Plaisir du théâtre Jean-Jacques Gautier.

Lou Chauvain, une révélation, va recevoir prochainement le prix Plaisir du théâtre Jean-Jacques Gautier. Émilie BROUCHON

CRITIQUE - Au Petit Montparnasse, la pièce d’Arnaud Bedouët est une pépite portée par Lou Chauvin et Philippe Magnan, remarquables. On y court !

Passer la publicité Passer la publicité

Un mois d’août caniculaire, un immeuble s’est vidé de ses habitants. Sauf deux : une jolie trentenaire qui ne finit pas ses phrases (Lou Chauvain) et un barbon bougon, professeur de philosophie retraité (Philippe Magnan). Elle tombe sur un livre qu’il a oublié sur un banc devant chez eux : Le Traité du désespoir de Søren Kierkegaard.

« Parfait pour un mois d’août », a-t-il asséné. Elle vient de se faire larguer, il est veuf. Ces deux fortes têtes sont aussi éloignées l’une de l’autre que le Petit Prince de la rose chez Antoine de Saint-Exupéry. Ils n’ont pas les mêmes valeurs, leurs mots dépassent leur pensée. Débordante d’énergie, elle le traite de « vieux con ». Perclus d’une souffrance qui ne dit pas son nom, il l’accuse d’être une « Messaline, névrosée, perverse et menteuse ». Voisins, ils entendent ce que dit l’autre depuis leur salle de bains. « Avec vous, j’ai l’impression d’apprendre une langue étrangère », lui lance-t-elle.

À lire aussi Avec leur nouveau spectacle, les Gruss s’affirment comme rois de la cavalerie équestre

Passer la publicité

Kierkegaard dans la Beauce

Par la magie de l’histoire contée par Arnaud Bedouët, ils partent ensemble dans une voiture qui, malgré son âge, les entraîne aux fins fonds de la Beauce. Le « vieillard » s’ouvre peu à peu. Sa cadette peine à s’affirmer. Accrochée à l’espoir de renouer avec son ex, elle ne quitte pas son téléphone portable. Leurs échanges sont bruyants comme des marteaux-piqueurs, mais non sans surprise. Ils appliquent sans le savoir le précepte de Kierkegaard : « On doit vivre sa vie en regardant devant soi, mais on ne la comprend qu’en regardant en arrière ».

Ils se révèlent au fil des kilomètres. Il lui conseille de profiter du « plaisir de la vie ». Gai ludion, elle lui fait oublier sa solitude. L’ambiguïté de leur relation rappelle celle d’Emmanuelle Béart et de Michel Serrault dans Nelly et Monsieur Arnaud (1995), le film de Claude Sautet. Contrairement à ce qu’elle croit, la jeune femme a sa vie devant elle. Faussement acariâtre, lui sait que la sienne est derrière. « C’est le problème, vous, vous effacez et moi je n’imprime pas », dit-elle.

Arnaud Bedouët n’est pas un inconnu. Il a déjà écrit plusieurs pièces dont Localement agité, sur une fratrie, et Kinkali, qui a été jouée par Marthe Keller et a valu un Molière à l’auteur. Avec Ailleurs / Après (Éditions Avant-Scène), il signe un texte sensible, une ode à la vie délicate et tendre. Le décor de James Brandily choisi pour la mise en scène est ingénieux.

À lire aussi Le Roi Lion, Notre-Dame de Paris, Bigre... Les spectacles à voir pour les fêtes de fin d’année

Dirigés par l’excellente Catherine Schaub, les deux comédiens sont remarquables. Dans la robe sixties de Julia Allègre, la révélation Lou Chauvain va d’ailleurs recevoir prochainement le prix Plaisir du théâtre Jean-Jacques Gautier. Le trop rare Philippe Magnan qui était l’inénarrable père de Chers parents, la comédie d’Armelle et Emmanuel Patron en 2023, est toujours au sommet. Ils sont incontestablement les personnages. Agaçants, attendrissants et drôles.

Jusqu’au 31 décembre, au Petit Montparnasse (Paris 14e).

Lire l’article en entier