Empreinte carbone du numérique : se chauffer au coin des serveurs, c’est possible

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Réduire l’empreinte carbone du numérique tout en valorisant la chaleur produite par les serveurs : c’est le pari de l’entreprise Qarnot, créée il y a quinze ans par Paul Benoit. « À l’époque, je travaillais dans la finance de marché, dans des environnements qui utilisaient des data centers gigantesques », raconte cet ingénieur de 51 ans.

Sa mission consistait à faire du calcul pour de grandes infrastructures à l’aide de milliers de serveurs. Toutes ces simulations généraient une consommation énergétique colossale. Mais le pire, c’est que près de la moitié de cette énergie servait uniquement à évacuer la chaleur produite par les serveurs. Une absurdité pour Paul.

Le modèle des chaudières numériques

« Je me suis dit qu’on pourrait changer complètement l’équation énergétique en distribuant la puissance de calcul dans des lieux demandeurs de chaleur, qui, pour certains, payaient pour en avoir », témoigne-t-il. Ainsi commençait l’aventure Qarnot.

« Au départ, on faisait des radiateurs qui embarquaient des serveurs informatiques à l’intérieur et on les déployait dans des logements sociaux », raconte le chef d’entreprise. Les bailleurs sociaux achetaient les équipements et la start-up remboursait l’électricité consommée.

Mais les radiateurs ne servant qu’en hiver, le dispositif a vite montré ses limites. Qarnot s’est alors tourné vers un modèle plus stable et plus performant : les chaudières numériques reliées directement aux réseaux de chaleur. Ici, pas de ventilateurs ni de systèmes de climatisation pour évacuer la chaleur comme dans les data centers classiques.

Les serveurs utilisés pour faire du calcul intensif sont installés dans des caissons traversés par un circuit d’eau : l’eau froide entre, est réchauffée par les serveurs avant d’être réinjectée directement dans le circuit d’eau chaude du site.

Qarnot travaille aussi avec quelques opérateurs privés comme Caliseo, à Melun (Seine-et-Marne). « Ce centre de balnéothérapie doit chauffer des piscines intérieures et extérieures toute l’année, ce qui demande beaucoup d’énergie, explique Paul Benoit. Jusqu’ici, il utilisait des chaudières classiques. Désormais nous lui fournissons une partie de la chaleur dont il a besoin via nos serveurs. Ce n’est pas une énergie renouvelable, mais une chaleur réutilisée, avec une empreinte carbone beaucoup plus faible. »

Donner du sens en économisant l’énergie

De quoi donner du sens aux 50 salariés de Qarnot, dont la moyenne d’âge se situe autour de 30 ans. La plupart sont des ingénieurs passionnés, sensibles à l’idée de faire du calcul intensif de manière performante et moins énergivore. « Travailler pour une entreprise capable d’envoyer des fusées dans l’espace tout en économisant de l’énergie, cela motive beaucoup les jeunes générations », constate le CEO.

L’enjeu désormais pour lui est d’arriver à convaincre de nouveaux investisseurs de financer des déploiements plus massifs pour pouvoir passer à l’échelle d’ici l’an prochain. « Le défi n’est pas simple, car nous proposons un système totalement nouveau, à la frontière entre le numérique et l’infrastructure », souligne l’entrepreneur.

Et l’impact écologique n’est pas vraiment au cœur des priorités ces temps-ci. « Quand nous avons lancé Qarnot en 2010, la question de l’empreinte carbone du numérique n’était pas vraiment dans le débat public. Aujourd’hui, les besoins liés à l’IA sont tels que la question environnementale a presque totalement disparu des radars : beaucoup d’acteurs veulent avant tout disposer de puissance électrique pour faire tourner leur modèle d’IA, et parlent moins d’empreinte carbone ».

Et d’ajouter : « Aujourd’hui, il n’existe aucune obligation réelle pour les pousser à réduire leur empreinte carbone numérique. Les contraintes sont faibles, la vérification difficile, et cela ralentit la transition. Mais à un moment donné, la contrainte énergétique deviendra centrale. »

Pousser les solutions françaises

En évitant la construction de data centers, en ne consommant pas d’électricité pour le refroidissement et en réutilisant la chaleur produite, Qarnot permet de réduire d’environ 80 % l’empreinte carbone par rapport à une solution classique.

Derrière il y a aussi un enjeu de souveraineté. « Les entreprises françaises du CAC 40 travaillent majoritairement avec les poids lourds américains de la tech, rappelle Paul Benoit. Mais si tout d’un coup Trump dit qu’il ne leur fournit plus de services numériques, beaucoup vont se retrouver le nez dans la farine. C’est dommage de ne pas pousser davantage les solutions françaises qui existent. »

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