« Goulag numérique » : en Russie, le Kremlin impose la messagerie controversée Max au détriment de WhatsApp

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Le Kremlin en passe d’accroître sa mainmise sur la sphère numérique ? Le gouvernement russe, qui envisage d’interdire WhatsApp et ses millions d’utilisateurs locaux, oriente massivement sa population à se rabattre sur Max, une nouvelle messagerie locale dénoncée comme un possible outil de surveillance par des avocats.

Proposée par le géant russe des réseaux sociaux VKontakte - qui entretient des liens étroits avec les cercles du pouvoir russe - depuis le début d’année, Max est présenté comme une super-application donnant accès autant à des services de l’administration qu’à la possibilité de commander une pizza, à l’image de WeChat ou Alipay en Chine. L’application comptabilise déjà près de 50 millions d’utilisateurs, selon les médias pro-Kremlin.

Le gouvernement a demandé aux fabricants de l’inclure automatiquement dans tous les nouveaux téléphones et tablettes à la vente depuis le 1er septembre, tout en bloquant la possibilité de faire des appels sur les messageries étrangères comme WhatsApp, qui revendique 100 millions d’usagers en Russie.

« Outil de contrôle numérique »

Vendredi, l’autorité de régulation des médias Roskomnadzor a annoncé qu’elle envisageait d’interdire complètement WhatsApp, au nom de la lutte contre la délinquance. Depuis août, les appels sont déjà impossibles avec l’application propriété de Meta. Les autorités insistent sur l’importance de couper la dépendance russe à des plates-formes étrangères qui stockent les données.

En l’absence de cryptage de bout en bout, ce serait cependant un outil puissant de surveillance, estiment des avocats défenseurs des libertés et des droits et des ONG. L’opposant politique russe Andreï Okun a dénoncé un « goulag numérique » : un espace stérile « dans lequel les autorités auront un contrôle total sur les loisirs, les motivations et les pensées des citoyens ».

Dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie, Max est déjà utilisé pour remplacer les services numériques locaux et couper les communications vers l’extérieur. Dans un communiqué, Reporters sans frontières (RSF) dénonce un « un outil de contrôle numérique, enfermant les territoires occupés d’Ukraine dans une prison informationnelle ».

Les Russes partagés

« Je n’ai pas trop confiance », confie Ekaterina, une médecin de 39 ans, sans vouloir donner son nom de famille. Son employeur lui a demandé d’installer Max mais elle utilise toujours surtout WhatsApp pour ses échanges privés. « Il y a tout un historique personnel de messages que je ne veux pas perdre, et des échanges pour mon travail », dit-elle, avec « beaucoup de patients dessus ».

Andrei Ivanov, 33 ans, est partagé : les données sur WhatsApp peuvent « être volées par d’autres pays » mais c’est « pratique pour communiquer ». Forcer les gens à changer, « c’est une forme de restriction de nos libertés », critique-t-il. Certains Russes renâclent utiliser l’application, bien moins puissante que ses concurrentes et offrant bien moins de garanties en termes de confidentialité.

« Personne n’est dupe. On sait tous que c’est un moyen de nous écouter plus efficacement et de nous empêcher de nous organiser ou de manifester », pointe Nikolaï, un professeur à la retraite de Saint-Pétersbourg interrogé par l’hebdomadaire Le Point.

D’autres font confiance au Kremlin. « Pour moi, tout ce qui est créé à l’étranger est désormais une menace pour nous », conteste Sergei Abramov, retraité, 67 ans. Maria Isakova, 36 ans, est d’accord : « Notre pays est foncièrement doué pour s’adapter aux changements de circonstances. Nous nous adaptons, il y a d’autres messageries, des alternatives. Je ne vois pas le problème ».

Liens avec le pouvoir

Le directeur général de Max n’est autre que Vladimir Kirienko, fils de Sergueï Kirienko, chef adjoint de l’administration présidentielle et proche de Vladimir Poutine. « Max, qui est clairement un espion dans votre poche (…) Tout est connecté au système Sorm, contrôlé par le FSB (les services secrets russes) », estime Sarkis Darbinyan, avocat, fondateur de l’ONG de défense des droits des internautes Roskomsvoboda, auprès de franceinfo.

WhatsApp, de son côté, estime être dans le collimateur car la méthode de cryptage employée par la plateforme, propriété du géant américain Meta, permet le codage des messages lorsqu’ils partent de l’appareil de l’expéditeur jusqu’à ce qu’ils soient lus par le destinataire.

La plate-forme assure que ses serveurs stockent des messages cryptés, qui sont détruits une fois livrés, et qu’elle s’abstient de communiquer quoi que ce soit aux gouvernements. Ce qui ne semble pas avoir convaincu le pouvoir, qui martèle, depuis cet été, déjà que WhatsApp (au même titre que Telegram) « offre des ressources aux terroristes et aux extrémistes de tous bords qui appellent à un changement de pouvoir dans notre pays et visent à détruire la Russie. »

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