L’affaire P. Diddy sur Netflix : un documentaire accablant sur le rappeur condamné à plus de 4 ans de prison

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On dit souvent, par cliché ou facilité, qu’un film ou une série ne vous laisse pas indemne. On ne peut pas le dire autrement cette fois : après quatre heures de visionnage de « Sean Combs, l’heure des comptes », documentaire en quatre épisodes mis en ligne ce mardi sur Netflix, vous n’êtes plus tout à fait le même. Essoré, lessivé, sali, écœuré, parfois presque anéanti dans vos convictions, marqué et déboussolé par ce torrent de révélations, de documents bruts qui, réunis bout à bout, brossent le portrait d’un rappeur star qui se prend pour « l’égal du Fils de Dieu » et se comporte comme le diable. Et depuis les premières années de sa carrière.

P.Diddy, 55 ans, a été condamné à 50 mois de prison en octobre dernier par la cour fédérale de Manhattan, pour « transport de personnes à des fins de prostitution ». Un moindre mal pour la superstar du rap US, qui risquait la perpétuité. Un jury populaire l’a acquitté de deux autres accusations pour « association de malfaiteurs » et « trafic sexuel ». Ce documentaire totalement à charge ouvre même la porte à d’autres accusations.

Vidéo« P.Diddy soulagé » : acquitté en partie, le rappeur américain reste en prison

Ce mardi, le producteur, découvreur de Notorious Big ou Marie J. Blige, a réagi depuis sa cellule de détenu, par la voix de son représentant, en manifestant sa fureur face au documentaire de Netflix, « une production honteuse et clinquante ». Deux adjectifs qui font sourire jaune au vu du passé et du passif de P. Diddy, pape du bling-bling et du gangsta rap. Dans sa ligne de mire, aussi, et cela se comprend mieux, le producteur du documentaire pour Netflix, le rappeur 50 Cent, son pire ennemi depuis des lustres.

« Du gel hydroalcoolique » demandé en urgence pour « se laver » après un bain de foule à Harlem

Il n’empêche, les images et les témoignages parlent d’eux-mêmes. Comme ces vidéos - « volées », affirme ce 2 décembre son conseil - commandées par l’artiste lui-même en 2024, six jours avant son arrestation : il voulait être filmé pour documenter sa vie et en écrire un jour la légende. On le voit cherchant à mobiliser la communauté noire en sa faveur. Et dans d’autres images hideuses, après un bain de foule improvisé à Harlem, il rentre dans sa berline et demande d’urgence « du gel hydroalcoolique » et son besoin de « se laver » après ce contact avec la plèbe. Des scènes pas destinées à être rendues publiques…

P. Diddy, pape du bling-bling et du gangsta rap, au Super Bowl à Minneapolis (Minnesota) en 2018. MaxPPP/EPA/Erik S. Lesser

P. Diddy, pape du bling-bling et du gangsta rap, au Super Bowl à Minneapolis (Minnesota) en 2018. MaxPPP/EPA/Erik S. Lesser

La réalisatrice Alexandria Stapelton s’attelle d’abord à l’enfance de Sean Combs, son vrai nom, pas gâté par le destin. Il n’a pas connu son père qu’il vénère, un gangster de Harlem abattu alors qu’il est encore bambin. Fasciné, le rappeur découvre adulte un document montrant sa mère à l’enterrement, « en manteau de chinchilla ». Le détail qui le marque. La mort et le luxe. L’histoire de sa vie. Un ami d’enfance, son voisin, raconte cette mère qui lui colle rouste sur rouste, à faire peur. Et qui lui apprend à frapper lui-même, pour avancer.

À 19 ans, celui qui se choisit d’abord le nom de Puff Daddy, recruté comme stagiaire par le label Bad Boy Records qui recrute la première ou seconde grande génération du rap américain côte Est, en devient rapidement le directeur artistique par son génie marketing. « Les gamins du quartier pensaient qu’il en ferait des stars », raconte un proche de l’époque. Et c’est souvent vrai. « Puff », comme l’appelle son clan, a une vision, plus qu’un talent naturel d’artiste.

Sa vie est jonchée de zones d’ombre terrifiantes

Il a aussi sa face sombre, déjà. Vingt ans et une première accusation de viol. Le premier drame aussi. Le jeune Sean Combs parvient à monter dans un gymnase new-yorkais un match de charité réunissant le gratin des rappeurs new-yorkais et des basketteurs de la NBA. Il a fait trop de pub et ne sait pas gérer les flux de l’assistance : un piétinement à l’entrée provoque neuf morts. Il se défausse de toute responsabilité. Mais ce qui le marque, c’est que le fait divers l’a rendu célèbre.

Toute sa vie est jonchée de zones d’ombre terrifiantes, d’accusations d’escroqueries, de viols voire d’homicide. Il ose souvent dire qu’il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Plusieurs témoins l’accusent d’avoir trempé dans l’engrenage qui mène en 1996 à l’assassinat de Tupac Shakur, icône du rap « West Coast » (côte Ouest) made in L.A., en guerre ouverte avec la « East Coast ».

L’année d’après, c’est son protégé, The Notorious B.I.G., qui tombe sous les balles en représailles à Los Angeles, en plein territoire ennemi. Ses anciens amis le soupçonnent d’avoir jeté le champion de son écurie musicale dans la gueule du loup, volontairement. Juste après, P. Diddy, davantage reconnu comme producteur qu’artiste jusqu’alors, entre enfin dans la vraie lumière : l’unique star, ce sera désormais lui, uniquement lui.

Ceux qui se confient à l’écran sont tous d’anciens proches

Les interlocuteurs qui se sont confiés à Netflix sont tous d’anciens proches, dont des musiciens, interprètes ou producteurs qui n’ont jamais touché un dollar, ou à peine, pour leur travail au service du maître. P. Diddy aime utiliser et humilier. Le versant privé, sentimental et sexuel, ouvre à un gouffre absolu. Cassie Ventura, sa dernière compagne, a été à l’origine de la chute du rappeur en témoignant de ses violences domestiques et « viols », avance-t-elle, pendant dix ans.

Les images des caméras de surveillance d’un hôtel de la star sortant de sa douche quasiment nu avec juste une serviette sur les hanches pour aller chercher la jeune femme qui tentait de le fuir au pied de l’ascenseur, la frapper et la faire revenir en la traînant par terre, ont fait le tour du monde. Un escort masculin témoigne ici avoir été pendant huit ans le partenaire sexuel du couple, pour des séances de voyeurisme et sadomasochisme. Cassie Ventura, qui ne s’exprime pas dans la série, a déclaré que son compagnon l’y obligeait.

Capricorn Clark, ancienne assistante du rappeur, fait partie des proches qui témoignent dans la série. Netflix

Capricorn Clark, ancienne assistante du rappeur, fait partie des proches qui témoignent dans la série. Netflix

D’autres femmes témoignent de violences, d’abus sexuels répétés. Mais comment P. Diddy a-t-il pu être pendant si longtemps l’invité chéri de tant de talk-shows, lui qui s’affirme « en route pour le milliard » et prétend représenter « la première vague du pouvoir économique noir », et passer à travers les mailles du système judiciaire jusqu’à cette condamnation relativement clémente ? Deux jurés du procès de septembre 2024 témoignent à visage découvert : pour eux, Cassie Ventura a affaibli son témoignage en reprenant la vie commune avec P. Diddy dès le lendemain de son agression filmée. Comme si l’on reprochait à des femmes battues de n’avoir pas réussi à quitter leur compagnon, au risque du féminicide.

Oui, il fait avoir le cœur bien accroché pour supporter ces quatre heures. On a parfois le sentiment de se trouver face au Mal absolu, à cette toute-puissance de l’argent, de la mégalomanie et d’une réussite dévoyée dans l’absence de toute limite. Comme si certains êtres échappaient à toute frustration, sans aucun contrôle des pulsions, celle de violer, d’humilier, de voler. Voire pire ? P. Diddy parle tout le temps de Dieu. S’il existe et regarde Netflix, ce dernier non plus ne doit pas en être sorti indemne.

La note de la rédaction :

4/5

« Sean Combs, l’heure des comptes », série documentaire d’Alexandria Stapelton en quatre épisodes (de 55 à 67 minutes).

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