On sait de source sûre que Napoléon jouait au yo-yo pour se détendre avant les grandes batailles. Il est avéré que Donald Trump, avant chacune de ses paix éternelles, c’est-à-dire à peu près tout le temps, joue lui aussi au yo-yo. Ce jeu primitif a été inventé juste après la toupie dont il est la version verticale. A la Restauration, les immigrés ont rapporté cette petite boule de bois accroché à une ficelle de leur exil anglais où ce jeu était très en vogue. Le yo-yo connut alors, en France, un grand succès sous le nom d’"émigrette" ou d’"émigrant", un truc qu’on chasse et qui revient toujours. Comme les juifs sous Philippe Auguste, comme les Latinos sous Trump. Comme demain les musulmans sous Bardella-Marine.

Cette invention diabolique nous vient des Philippines. C’est d’ailleurs un étudiant philippin, Pedro Edralin Florès, immigré aux Etats-Unis, qui, en 1928, l’exporte des Philippines et le commercialise sous le nom de yo-yo – qui veut dire "viens-viens" en tagalog, la deuxième langue des Philippines. Florès vend 300 000 yo-yo la première année, le voilà riche. Mais, en 1932, un autre Donald (Duncan) rapplique et rachète la compagnie de Florès pour 250 000 dollars. Donald s’associe avec William Randolph Hearst, le patron de presse qui lui permet de promouvoir le yo-yo partout dans le pays. Génie du marketing, Donald fait du yo-yo une discipline de compétition, si bien qu’en 1946, quand Donald Trump voit le jour, le yo-yo est un sport national. La sage-femme en jouait tout en délivrant la parturiente. Prise par son jeu, elle aurait failli assommer le nouveau-né d’un coup de yo-yo.

En 1962, Donald Duncan vend 45 millions de yo-yo. Et le 12 avril 1985, consécration absolue : le yo-yo est embarqué à bord de la navette spatiale Discovery. Contrairement à la fake news distillée par Donald lui-même, il n’est pas le seul jouet embarqué dans ce périple spatial. Et pas non plus le premier : Youri Gagarine avait pris avec lui une poupée, le 12 avril 1961, lors du premier voyage d’un homme dans l’espace.

Là, pour la Nasa, il s’agissait de savoir comment le yo-yo se comportait en apesanteur. Le résultat fut décevant, et donc comique.

Le souvenir d'Annie Cordy

Avec le yo-yo, tout est question d’interprétation. Les moins jeunes se souviennent d’Annie Cordy à Midi Première, interprétant la chanson de Gérard Gustin et Jacques Mareuil, Tata Yoyo, lamentable samba frénétique, pseudo-brésilienne, gueulée par la chanteuse la plus athlétique de l’ère giscardienne, agitant son boa, ses plumes et son increvable popotin, accompagnée de gogo boys noirs, en string et bottes argentées, accouplés à quelques recalées du Crazy Horse. Et les mômes reprenaient ça en chœur dans la cour de l’école : "Tata Yoyo, qu'est-ce qu'y a sous ton grand cha-peau ? !"

Il faut avoir connu ce grand moment de vulgarité télévisuelle pour prendre la mesure du choc ressenti par moi, quarante ans plus tard, dans la voiture de Stéphane, en traversant la forêt de Rambouillet, la sono à fond : les mêmes paroles, les mêmes notes, mais la voix, mais le tempo… la plainte de Jim Bauer métamorphosant ce tube inécoutable à chorégraphie douteuse, pour en donner une version saudade morna, à la Cesaria Evora, à la Chavela Vargas : un chant pas seulement émouvant, qui nous gifle d’être passé à côté, en 1980, en jouant les folles, en nous tortillant comme à l’école, sans entendre ce que disaient les mots, à cause du rythme qu’Annie Cordy leur donnait, à cause de Danièle Gilbert et de son sourire niais, du décor, des costumes, choisis par les directeurs de chaîne, au nom des téléspectateurs français.

C’était dans l’émission The Voice, animée par Nikos Aliagas, le 18 avril 2021. Si vous l’avez ratée à l’époque, elle est sur YouTube, vous serez peut-être le 2 millionième internaute à la regarder. Il ne faut pas rater Florent Pagny qui avoue : "Personne n’avait compris cette chanson comme ça… On ne savait pas que cette chanson avait… cette dimension… dramatique." Ce qui s’appelle prendre le yo-yo en pleine tronche.