Economie. Les entreprises danoises licencient facilement, et les chômeurs, tout en étant protégés, n’ont aucune difficulté à retrouver un emploi. Un système qui profite à l’innovation.
Publié le 05/12/2025 à 07:45

Un homme brandit le drapeau danois sur la place du palais de Christiansborg, à Copenhague, le 14 janvier 2024.
Getty Images via AFP
Vu de France, on a coutume de dater le modèle danois de la flexisécurité, unique en son genre, du début des années 1990. A l’époque, l’Etat scandinave traverse une passe difficile marquée par une inflation anormalement élevée et un taux de chômage de plus de 10 %. "Le système d’indemnisation était généreux, ce qui réduisait fortement l’incitation à reprendre un travail", relate Michael Svarer, professeur d’économie à l’Aarhus University, la deuxième plus grande université du pays. Après la perte d’un emploi, un salarié pouvait toucher l’assurance chômage pendant sept ans. Le gouvernement décide de serrer la vis, en réduisant progressivement cette période d’indemnisation.
Une étape de plus vers la flexisécurité, dans un processus qui a pris plusieurs décennies. "L’évolution vers le modèle actuel a été progressive", reconnaît Michael Svarer. Pour que la recette fonctionne, trois ingrédients, que les économistes qualifient parfois de "triangle d’or", sont indispensables : flexibilité, sécurité et politique de l’emploi active.
Les emplois ne sont pas protégés, au contraire des employés
Le premier concerne les employeurs et la possibilité qui leur est offerte de licencier simplement. Au Danemark, même un poste dit "permanent", à la manière d’un CDI en France, est susceptible d’être supprimé du jour au lendemain. "Un professeur à l’université, par exemple, peut se voir signifier son licenciement en quelques jours, ce qui serait inconcevable dans des pays comme l’Allemagne ou la France", raconte Janine Leschke, maître de conférences au département business et politique à la Copenhagen business school.
Les emplois ne sont pas protégés. Les employés, si. Car la sécurité se traduit par une période d’indemnisation longue - jusqu’à deux ans aujourd’hui. Sous conditions néanmoins : "Le chômeur bénéficie d’une protection de très bonne qualité, mais uniquement s’il s’engage à accomplir une série de démarches, détaille l’économiste Bernard Gazier, spécialiste du marché du travail. Les autorités sont extrêmement exigeantes envers lui. Comme les opportunités d’emploi ne manquent pas, elles peuvent se le permettre."
Quand il commence à percevoir des droits, le demandeur d’emploi est tenu de participer à des entretiens réguliers avec un conseiller, de suivre des formations professionnelles, et éventuellement d’accepter un poste subventionné dans le secteur public ou privé. "L’utilisation intensive de ces programmes actifs est un élément clé du modèle", assure Michael Svarer. "Cette composante est centrale dans la perception de la flexibilité : elle permet aux gens de comprendre qu’ils ne sont pas livrés à eux-mêmes, tout en acceptant que l’emploi ne soit jamais garanti à vie. Les Danois sont habitués à cette réalité", ajoute Janine Leschke.
Une précieuse liberté d'action pour les entreprises
Les vertus du système se lisent dans les statistiques : le taux de chômage tourne autour de 6 %. Son impact sur l’économie s’étend même au-delà du marché du travail. Pour les entreprises, il offre une précieuse liberté d’action, quand il devient nécessaire de changer de modèle économique ou de mettre fin à des activités sans avenir. Un terreau propice à l’innovation. Dans une étude publiée en novembre par HEC et l’université Bocconi, l’économiste Yann Coatanlem et l’entrepreneur Olivier Coste ont passé en revue 250 plans sociaux intervenus entre 2020 et 2024 dans les secteurs de la tech et de la biotech en Europe.
Ils y montrent que la capacité d’investissement est intimement liée aux coûts de restructuration. Au Danemark, licencier coûte en moyenne à l’entreprise 3 mois de salaire par employé - moitié moins qu’aux Etats-Unis -, contre 38 mois en France et 31 en Allemagne. "S’attaquer aux coûts de restructuration, c’est permettre de restaurer la rentabilité des projets d’innovation et de relancer tout l’écosystème, souligne auprès de L’Express Yann Coatanlem. Au Danemark, les entreprises sont davantage en mesure d’opérer des changements radicaux de processus ou de redéploiement technologique."

Le modèle de flexisécurité en vigueur en Danemark permet au pays d'être performant en termes de recherche et de développement.
© / Edward Jenner/Pexels - Lucile Laurent/L’Express
A l’heure où les recommandations du rapport Draghi sur la compétitivité européenne semblent avoir été remisées dans un tiroir, les 27 seraient bien inspirés de s’intéresser à la piste danoise. Coatanlem et Coste travaillent de concert avec la Commission européenne, mais le sujet n’est pas remonté pour l’instant au niveau des Etats membres. La direction générale de la recherche et de l’innovation à Bruxelles va prochainement lancer une enquête auprès de plusieurs directions financières d’entreprises dans l’UE pour corroborer, à grande échelle, les chiffres des deux chercheurs. De quoi convaincre les récalcitrants ?

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