Politique. Le Parti socialiste rejette catégoriquement le modèle danois… mais peine toujours à imposer sa voix en matière d’immigration.
Publié le 03/12/2025 à 07:45

Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, à l'Assemblée nationale, Paris, le 31 octobre 2025
afp.com/Thibaud MORITZ
Juillet 2025, le Danemark prend la présidence du Conseil de l’Union européenne, et Mette Frederiksen perturbe les eurodéputés. Tantôt la gauche applaudit quand la Première ministre danoise défend corps et âme le Pacte Vert face aux coups de canif venus de la droite. Et tantôt la gauche "regarde ses pompes" – confidence d’un socialiste français. Car la sociale-démocrate appelle aussi à "renforcer les frontières extérieures, réduire l'afflux de migrants vers l'Europe et contribuer à stabiliser les pays voisins de l'UE en rendant le processus de retour plus facile et plus efficace". "Les citoyens ont le droit de se sentir en sécurité dans leur propre pays!", insiste-t-elle.
Dans les couloirs strasbourgeois, François-Xavier Bellamy, patron européen Les Républicains, est tout sourire. "Si on avait des socialistes comme ça chez nous…" Et un collègue Rassemblement national, encore ému, de lui répondre : "On serait à 3 % !" Les deux hommes continueront ainsi à se désoler ou se rassurer, c’est selon.
"Ils passent de l’État-providence à la préférence nationale"
"Je ne veux pas faire baisser l’extrême droite en reprenant ses arguments", dit le patron du PS Olivier Faure. Si Mette Frederiksen est parfois érigée en exemple, ça n’est certainement pas de son fait. Quand il était ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau a, lui, accueilli à Beauvau son homologue d’alors Kaare Dybvad, pour vanter les "résultats remarquables" de ce partenaire. De son côté, Jordan Bardella a pèleriné vers Copenhague, encourageant la France à "aller vers un tel modèle, en ayant le courage de rompre avec le politiquement correct et l’impuissance d’Etat". Bref, la moitié de la classe politique de l’Hexagone a les yeux de Chimène pour cette gauche si… pragmatique ! Une façon pour ses droitiers contempteurs de grimer les socialistes français en "naïfs". Car le PS s’étrangle en observant la politique menée par ses pairs danois. "Ils passent quand même de l’État-providence à la préférence nationale…", souffle Boris Vallaud, président du groupe parlementaire socialiste.
"Ici, le débat sur le coût social de l’immigration est moins central qu’au Danemark où l’État-providence est un marqueur identitaire, analyse Catherine Wihtol de Wenden, spécialiste des questions de migrations. En France, il tourne autour de la sécurité et de l’insécurité culturelle, de l’islam…" Si le modèle danois, celui d’un pays de 6 millions d’habitants à la seule frontière et dépourvu d’histoire coloniale, est difficilement exportable, la gauche tricolore contribue à creuser le fossé avec les inquiétudes de l’électorat.
Inaudibles
Selon l’enquête "Fractures Françaises" pour Le Monde, la délinquance et l’immigration arrivent en deuxième place des préoccupations des Français. 65 % des interrogés estiment qu’il y a "trop d’étrangers en France". Il n’a jamais eu lieu, mais Olivier Faure avait accepté de débattre de "l’identité nationale", une idée lancée depuis Matignon par François Bayrou. L’essentiel de la gauche est tombé sur le premier secrétaire du PS, l’accusant de légitimer les mots de l’adversaire. Dommageable, car la question migratoire fait aussi clivage à gauche : selon cette même étude plus d’un quart des sympathisants LFI et EELV croient au surnombre d’étrangers, plus d’un tiers de ceux du PS. Dans ce débat fourre-tout, il aurait été l’occasion pour les roses - qui ferraillent à l’époque pour que les médias s’en fassent l’écho - de mettre en lumière leurs propositions en matière d’immigration, adoptées en 2023.
Mais quand les gauches scandinaves, britanniques ou allemandes évoluent vers plus de fermeté, les Français s’y refusent toujours. "Notre position demeure convenue alors que nous aurions intérêt à reprendre l’offensive sur ce sujet", admet Luc Broussy, président du conseil national du PS. "Depuis toujours, le PS fait en sorte que cette question sorte du débat public puisqu’il considère qu’il n’y a que des coups à prendre. Ce qui les a conduits à la fin des années 1980 à rechercher un consensus autour de "l’intégration", résume le politiste Pierre-Nicolas Baudot, spécialiste du PS et de "la politisation de la question immigrée". Pour le reste, ils ont promu un antiracisme "moral" sans toutefois produire de programme d’ampleur sur ce sujet". "Au’Français-immigrés même patron, même combat', les socialistes ont ainsi substitué un soutien aux’racisés', pour reprendre le vocabulaire d’Olivier Faure, un objectif qui ne peut aider ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre, à avoir conscience de leur commune situation", observe Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
Une partie de la gauche intellectuelle - certains contributeurs à la Fondation Jean-Jaurès - incite les sociaux-démocrates français au tour de vis migratoire. Dans une note pour le think tank, Bassem Asseh et Daniel Szeftel appellent la gauche à accepter la "définition d’orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration par le Parlement", façon "Mitterrand 1981", histoire de renouer avec "l’héritage historique" du PS. Dans un autre rapport de la même fondation, intitulé "La troisième gauche", Danois, Suédois et Britanniques deviennent des exemples à suivre pour reconquérir les classes populaires. Mais au Parti socialiste un ange est passé, deux fois. Les murs de la "vieille maison" ont en revanche tremblé à la lecture d’un récent éditorial du journal Le Monde. "Si la gauche veut regagner les classes populaires, elle ne peut plus faire l’impasse sur l’immigration", enjoignait le quotidien. Sans être entendu.

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