Grippe aviaire : le point sur la situation en France et dans le monde avec l'Institut Pasteur

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Personne en combinaison de protection tenant une poule blanche dans un environnement agricole. © Peter Garrard Beck/Getty Images

En collaboration avec Pr Marie-Anne Rameix Welti (Professeur des universités-praticien hospitalier, responsable du Centre National de Référence Virus des Infections respiratoires à l’Institut Pasteur)

Alors que les cas humains se font plus nombreux et les craintes plus grandes chez nos éleveurs, nous avons interrogé une experte de l’Institut Pasteur sur cette épidémie, qui pourrait devenir pandémie.

Chez les éleveurs, l’inquiétude monte à l’approche des fêtes. Tandis que chez les scientifiques spécialistes du sujet, la vigilance est de mise.

Pas une semaine sans que la grippe aviaire ne fasse l’objet d’un article de presse, soit pour faire part d’un élevage de volailles contaminées, soit pour indiquer qu’un cas humain a été détecté.

Pas de cas humain en France à ce stade

Jusqu’alors, en France, il n’y a pas de cas humain à déplorer, et encore moins de décès. Aux États-Unis en revanche, deux personnes y ont succombé depuis le début de l’année, personnes qui avaient des comorbidités et qui étaient au contact rapproché de volailles.

La métropole française est toutefois concernée par un nombre important de cas d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) chez des oiseaux migrateurs, notamment des grues cendrées. Notons que l’on parle communément d’influenza aviaire chez l’animal, et de grippe aviaire chez l’humain. Des cas d’influenza aviaire ont également été rapportés chez des mammifères, loutres et renards notamment.

À l’heure actuelle, les cas rapportés dans des élevages de volailles proviennent probablement d’une contamination liée à des oiseaux migrateurs, qui survolent les élevages.

Pourquoi les experts sont-ils sur le qui-vive ? Une transmission interhumaine serait-elle possible ?

C’est la crainte majeure chez les scientifiques qui étudient la grippe aviaire : que le virus devienne transmissible d’humain à humain. On parle de transmission interhumaine.

« Il faut savoir que les virus grippaux A, ceux qui circulent aujourd’hui chez l’espèce humaine, viennent du réservoir aviaire, des oiseaux », explique ainsi le Pr Marie-Anne Rameix Welti, responsable du Centre National de Référence Virus des Infections respiratoires à l’Institut Pasteur. « Les virus grippaux A ou influenza A sont des virus assez “plastiques”, qui sont capables de s’adapter à différents hôtes. À partir du réservoir aviaire, où vous avez une énorme diversité de virus, ces virus sont capables de s’adapter à différents hôtes : vous avez de la grippe porcine, de la grippe équine, de la grippe chez les phoques et de la grippe chez les humains. Le risque, c’est qu’au moment de l’introduction d’un nouveau virus dans la population humaine, en provenance du réservoir aviaire, on se retrouve dans la situation qu’on a connue pour le Covid, c’est-à-dire l’introduction d’un virus contre lequel la population humaine n’a aucune immunité », avertit la spécialiste.

Pour l’heure, le scénario le plus plausible est celui d’un passage de ce virus influenza aviaire des volailles au porc, puis du porc aux humains. Les spécialistes supposent que c’est ainsi que cela s’est déroulé en 2009, date de la dernière pandémie de grippe aviaire, la grippe A (H1N1). Le virus contenait des gènes de plusieurs virus connus d’origines porcine, aviaire et humaine.

« On sait qu’une nouvelle pandémie va se produire, et on sait que cela viendra du réservoir animal au sens large. Cela ne proviendra pas forcément directement du réservoir aviaire, et pourra passer par des hôtes intermédiaires, jusqu’à atteindre l’espèce humaine. C’est donc un sujet de vigilance, puisqu’il y a régulièrement des pandémies avec la grippe : il y en a eu en 1918, 1957, 1968, 1976 et 2009 », liste la spécialiste.

Peut-on espérer une immunité croisée avec la protection contre la grippe saisonnière que l’espèce humaine a déjà ?

Hélas, si le virus de l’influenza aviaire mutait pour devenir transmissible d’humain à humain, il n’y aurait a priori pas d’immunité croisée. Autrement dit, il ne faut pas espérer que notre système immunitaire soit capable de se défendre du fait d’avoir une immunité collective contre la grippe saisonnière.

« L’équivalent de la protéine spike pour le virus du Covid-19, protéine de surface du virus contre laquelle on s’immunise et que les gens connaissent bien, c’est ici le H de H1N1, H3N2 etc. Et là, en l’occurrence, c’est H5. Ce qui signifie qu’il n’y a aucune reconnaissance croisée entre H1, H3 (les virus de la grippe saisonnière humaine, N.D.L.R.) et H5 », nous répond la spécialiste. Pas d’issue de secours à espérer de ce côté-là, donc.

Si une pandémie survient, serons-nous mieux armés que contre le Covid-19 ?

En revanche, contrairement au Sars-Cov-2, virus du Covid-19, nous serions éventuellement mieux lotis au niveau de l’arsenal de lutte. « Effectivement, les points positifs, c’est qu’on a des souches vaccinales identifiées pour tous les virus zoonotiques, parce qu’il n’y a pas que du H5 qui préoccupe la communauté scientifique. Il y a du H9N2, du H10, il y a d’autres virus, mais pour tout cela, il y a des candidats vaccins identifiés », rassure Marie-Anne Rameix Welti, ajoutant qu’il y a même des stocks de vaccins qui existent contre certains clades (ou sous-types) de virus H5. Des médicaments antiviraux ciblant cette famille de virus existent également. Un bémol de taille, tout de même, selon la spécialiste : la grippe, même saisonnière, est plus sévère que le Covid-19 pour la majorité des gens, en termes de symptomatologie. Une pandémie de grippe aviaire pourrait donc être plus dévastatrice, même avec candidats-vaccins et médicaments « sous le coude ».

Pourquoi la vaccination contre la grippe saisonnière est conseillée aux éleveurs

Dans la mesure où il n’y a pas d’immunité croisée entre grippe saisonnière et grippe aviaire, on est en mesure de se demander pourquoi la vaccination antigrippale (contre les virus de la grippe saisonnière) est recommandée aux professionnels travaillant au contact de porcs ou d’oiseaux (éleveurs, vétérinaires, techniciens, ouvriers agricoles, personnels de ramassage et de transport, personnels de parcs zoologiques, enseignants des établissements d’enseignement agricole…).

En réalité, ça n’est pas pour s’immuniser, mais pour éviter que les deux virus se rencontrent et qu’une recombinaison ait lieu. « Il s’agit d’éviter que quelqu’un ait en même temps une grippe humaine et une grippe aviaire, parce que ce serait un creuset pour générer un virus adapté à l’homme et transmissible entre humains. Ce que l’on ne veut pas, c’est que l’humain transmette son virus à l’animal, ou que l’animal transmette son virus à un humain malade de la grippe humaine », indique l’experte de l’Institut Pasteur. Les virus pouvant échanger du matériel génétique entre eux, leur rencontre pourrait aboutir à la formation d’un virus jusque-là inconnu, et éventuellement transmissible d’humain à humain.

La vaccination des canards, un rempart de plus

Pour la troisième année consécutive, la France fait le choix de vacciner l’ensemble de ses canards d’élevage. Mise en place depuis octobre 2023, et reconduite donc cette année (la campagne de vaccination s’étendant du 1er octobre 2025 au 30 septembre 2026), cette stratégie de lutte contre l’influenza aviaire semble porter ses fruits, en complément d’autres mesures de biosécurité dans les élevages (notamment la mise à l’abri des volailles).

Cette vaccination est obligatoire pour les élevages de plus de 250 canards, et vise à réduire le nombre de foyers d’influenza aviaire. Rappelons que lorsqu’un cas est avéré dans un élevage, ce sont toutes les volailles de l’élevage qui doivent être euthanasiées, un coup dur pour les éleveurs. La vaccination des canards est pensée pour réduire la circulation du virus (y compris chez les autres volailles), réduire le risque d’infection de chaque individu et limiter la symptomatologie. « Le but, c’est vraiment de limiter l’infection, c’est d’éviter de se retrouver avec un abattage massif de canards comme on avait eu il y a quelques années », ajoute Marie-Anne Rameix Welti.

Rappelons par ailleurs que les élevages de volailles sont actuellement étroitement surveillés par les autorités sanitaires.

Que l’on soit éleveur ou simple promeneur, il est primordial de rappeler qu’il ne faut « surtout pas toucher un cadavre d’un animal ou un animal malade, même s’il n’est pas mort. On ne ramasse, ne touche ni ne vient au secours d’un animal malade, d’une loutre mourante », ou d’une grue mal en point, martèle la spécialiste. En cas de découverte d’un animal malade ou décédé, on contacte les services habilités (services municipaux ou services départementaux de l’Office Français pour la Biodiversité), qui viendront faire les manipulations nécessaires, avec les protections adéquates.

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