En mars prochain, les Français éliront leurs nouveaux maires. Les municipalités touchent au cœur de la vie quotidienne : l’école, le logement, l’eau et l’environnement, le petit et le grand commerce, le lien social, la sécurité ou le sport. Mais un autre sujet, profondément structurant, devrait s’inviter dans les priorités de tous les programmes des candidats : celui de la lecture.
Car lire n’est pas un loisir parmi d’autres. La lecture conditionne la réussite scolaire, l’accès à l’emploi, elle agit comme un formidable levier de réduction des inégalités. Elle favorise, en outre, le développement de l’esprit critique, de l’imaginaire, de la capacité à comprendre le monde, à rencontrer l’autre. Enfin la lecture et les lieux de lecture partagée apaisent les individus et les sociétés.
Pourtant, l’accès au livre en France demeure profondément inégal. Près d’un ouvrier sur deux ne lit jamais. Un quart des familles possèdent moins de cinq livres à la maison. Dans certains quartiers, dans certaines campagnes, l’objet livre est devenu rare, presque étrange, voire étranger.
Cette réalité n’est pas une fatalité. Partout où les collectivités ont fait de la lecture une priorité – en renforçant les bibliothèques, en allant vers les habitants, en impliquant écoles, associations, commerçants, familles – les résultats sont tangibles : les enfants réussissent mieux, les liens entre générations se recréent, les espaces publics sont plus apaisés. La lecture n’est pas seulement une question d’offre culturelle : c’est une politique de citoyenneté.
Une proposition simple : faire du livre un bien commun partagé
Au lendemain du Salon des Maires et au moment où vont être annoncées les conclusions des Etats généraux du livre jeunesse, Bibliothèques Sans Frontières appelle à la création, partout en France, de "Territoires 100 % lecteurs", dans les communes, les agglomérations et les départements qui font le pari de la lecture pour la réduction des inégalités et le lien social.
A la manière des territoires zéro chômeur longue durée, il s’agit la mise en mouvement de tous les acteurs d’un territoire qui agissent sur deux fronts complémentaires :
- En rendant le livre présent partout : dans les bibliothèques, bien sûr, toujours plus ouvertes aux heures où enfants et adultes ont le temps de s’y retrouver, mais aussi dans l’espace public, les associations et centres sociaux, les écoles, les halls d’immeubles, les commerces de quartier, les cafés, les maisons de santé, les Ehpad ; jusque dans les foyers, en permettant aux enfants des familles les plus modestes de constituer leur première bibliothèque.
- En faisant en sorte que cet accès démultiplié se traduise bien en multiplication du nombre de lecteurs. Pour cela il faut changer les représentations et les habitudes : inviter les parents à lire avec leurs enfants, former les éducateurs, impliquer les clubs sportifs, créer des clubs de lecture de quartier, remettre une carte de bibliothèque à chaque enfant dès son entrée à l’école. Autant d’actions simples qui, coordonnées, peuvent avoir un impact profond sur les pratiques de lecture.
A l’approche des municipales de 2026, s’engager dans une démarche 100 % lecteurs, c’est affirmer une vision politique claire : celle d’un territoire qui croit au pouvoir de la connaissance, de l’imaginaire et du partage pour bâtir un monde où chacune et chacun sera plus libre, dans une société plus solidaire, plus apaisée et plus résiliente.
Dans le moment historique que nous vivons, où les appels à la violence et à l’antagonisme redoublent, où les conditions de vie et de travail isolent de plus en plus, créer ces espaces de savoir, mais aussi de rencontres, avec des textes et des personnes, des lieux où l’on se sent libre, mais au milieu de tant d’autres grâce à la lecture, devrait être une priorité de tous les élus et des candidats. La lecture, les livres, les bibliothèques ne sont pas du passé, ils sont l’un des piliers les plus importants de toute démocratie, donc l’une des conditions de notre avenir.
* Patrick Weil est historien et président de Bibliothèques Sans Frontières

il y a 2 hour
1











English (US) ·